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A Julien Goutier du 103ème R.I
A Julien Goutier du 103ème R.I
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27 septembre 2007

La lettre

Voici la lettre de Julien destinée à ses parents

 

Ci-joint une petite fleur

Je l’ai cueillie en France

à quelques mètres de la

frontière belge. SOUVENIR

 

 

A ma bien chère famille,

 

 

 

Si je n’ai pas le bonheur de revenir parmi vous un jour, voici, chère famille, en quelques mots les péripéties de ma bien courte campagne.

 

Après un voyage long de 48 heures, le 3ème bataillon du 103ème débarqua à Verdun, ville que 4 ans avant j’avais eu le plaisir de visiter et d’admirer, grâce à la bonté de grand-père Méline.

 

Nous formons les faisceaux à proximité de la gare et les fourriers et les caporaux s’occupent hâtivement de la distribution des vivres. Pendant ce temps, les hommes s’intéressent au va et vient des troupes, en particulier de l’artillerie qui transporte des canons immenses : ce sont probablement de fortes pièces de siège. Subitement, le commandant corne, chacun se précipite à sa place. Le signal du départ est donné. Où allons-nous ? On ne sait pas. Nous contournons les forts et après une marche assez pénible, nous arrivons au village de MARRE, puis nous cantonnons avec de l’artillerie. Deux ou trois jours après, et après une marche fatigante (dans cette marche, j’ai eu le plaisir de rencontrer Mr Gérault et le docteur Léon Wernie) nous arrivons près de MAUCOURT à MOGEVILLE. Il fait nuit, la soupe est préparée rapidement et nous mangeons avec TOUCHARD, ALMA, TESSIAN, COLOMBET, un lapin aux pommes de terre. Il est excellent et c’est bien sincèrement que je me régale. A peine avons-nous fini que le signal du départ est donné par le colonel CALLY.

 

Par une marche dans la forêt, nous allons tâcher de faire tomber les Allemands dans une embuscade. Les hommes ne tiennent plus debout. Ils se traînent. Moi-même je suis plus mort que vivant. Enfin chacun comprend son devoir et personne ne lâche pied. Nous couchons à la belle étoile à proximité du village d’AZANNES. Le nuit est fraîche, l’herbe est mouillée, peu importe. Dès le matin 4 heures, nous descendons dans la plaine où nous nous formons en ligne de bataille, chacun croit bien recevoir le baptême du feu. Il n’en est rien. Nous remontons sur notre emplacement de la nuit et nous préparons la soupe. Nous restons là 3 longs jours, sur cette pente que nous avons aménagée en apportant des bottes de paille de la plaine sans qu’aucun incident survienne. Le coup est manqué. Nous partons un matin d’assez bonne heure pour s’installer en bivouac à quelques kilomètres SOUS-AZANNES. L’endroit réservé à la 12ème compagnie est assez bien choisi. C’est une petite prairie en pente, bordée de haies à droite et à gauche. En haut, des ruines de maisons permettent d’installer nos cuisines aériennes. En bas coule un petit ruisseau, c’est le lavabo et le dortoir. Quelques camarades, les plus courageux vont chercher de la paille pour préparer les couchettes par section, d’autres, armés de serpes vont couper des branches pour confectionner des abris. Touchard, Colombert, Elliot et moi nous aménageons notre lieu de repos en utilisant les branches d’un arbre et des tuiles rouges qui sont en tas. L’aspect du camp est gravé dans mon cerveau. C’est dans ce camp que j’ai appris ma nomination officielle de sergent. Touchard et Colombet ont eu l’amabilité d’arracher les galons de caporal et mettre à jour ceux que Melle Blossier avait eu l’amabilité de me coudre à Alençon. A côté de cette satisfaction m’en arrive une autre, celle de recevoir 2 lettres du pays. L’une de maman, de Grand-père, de Grand-mère, de Tante, de mes sœurs, l’autre, de Papa qui a fait tout son possible pour me voir à la gare de Vaugirard. Comme je vous remercie tous d’avoir eu la gentillesse de m’écrire avec tant d’affection. Vous ne savez pas quel réconfort j’ai éprouvé en lisant vos lignes. Bien des fois merci. Ces deux joies étaient trop grandes. Il me fallait une déception. La perte de Gustave Touchard, mon meilleur ami. Toujours l’un près de l’autre, nous nous prêtions un mutuel secours, nous étions en deux mots comme des frères, d’ailleurs vous le savez bien. Il est choisi comme interprète allemand adjoint au Colonel. Nous nous quittons avec l’espoir de nous revoir de temps en temps dans les divers cantonnements. Nous quittons Sous-Azannes pour le village de Grémilly où nous restons plusieurs jours. Nous sommes chargés d’occuper des retranchements construits par le Génie en cas d’une attaque offensive de l’ennemi. Notre séjour se passe à Grémilly sans incident et nous quittons ce village pour Ville-devant-Chaumont où nous cantonnons un jour. Dès le matin, nous filons sur Dombras où nous restons près de trois jours avec le 14ème Hussards d’Alençon. Ces cavaliers nous racontent leurs exploits sur les uhlans et nous montrent plusieurs équipements militaires qui leur ont été pris. Enfin nous quittons Dombras de bonne heure pour la Belgique. Nous allons cantonner à Latour, assez gros village situé à quelques kilomètres de la frontière française.

 

Nous sommes reçus à bras ouverts par les habitants qui manquent un peu de châteries, les Allemands étant passés là le matin. A peine arrivés dans le village que mon sympathique Touchard m’apporte du tabac, du chocolat et un quart de vin rouge que je bois avec plaisir. Le chocolat me paraît délicieux et le tabac succulent. C’est hélas, notre dernier soir de bonheur car le lendemain, le samedi 22 août 1914 nous partons de bonne heure en avant-garde vers un petit village voisin de 2 km, Ethe. Nous traversons le village. Le 14ème Hussards est devant nous et la 12ème compagnie est avant-garde du 3ème bataillon qui a la mission de soutenir la cavalerie en cas d’attaque. En traversant le village d’Ethe, nous rencontrons sur la route quelques uhlans que les hussards ont tué, puis tout le régiment de hussards avec à sa tête le lieutenant-colonel qui nous souhaite du courage en nous montrant ses victimes qui jonchent le sol. A peine la gare est-elle franchie que les premiers coups de feu se font entendre. Le brouillard intense ne nous permet pas de voir mais nous sentons l’ennemi tout près. La 3ème section, ma section s’engage dans un bois sur la gauche de la route pour renforcer la 1ère section du lieutenant Mérine, qui était en éclaireur. Aux premiers coups de feu, je vois deux camarades blessés, puis j’entends le lieutenant Mousseaux qui crie « En avant ». Les balles sifflent, puis des nouvelles. Le lieutenant Mousseaux est tué, les soldats Renard, Saussaie, de Bellême. Moi-même je vois étendu, mort Houel d’Alençon, mon adjudant Harmand, Colombet s’empare de ses jumelles, puis les autres. La 9ème compagnie avec la section Périque vient nous renforcer. Le lieutenant Mérine cherche à établir la liaison à travers bois avec le 104ème qui est à notre gauche. Résultat, nous nous perdons dans les bois et pendant 3 jours, sans vivre, nous errons, ne pouvant sortir, entendant à toutes les lisières, la langue allemande. Nous commençons à désespérer mais le lieutenant Mérine qui est un militaire dans l’âme veut nous sauver. Traqués de tous côtés par les Allemands, nous sentons que les Français ont reculé et nous décidons de marcher vers l’ouest à l’aide de la boussole. Le lundi 24 août, nous reprenons notre marche sous bois. Je suis en éclaireur avec quelques hommes. En tournant le dos au soleil, j’arrive à proximité d’une lisière. Le lieutenant Mérine et le sous-lieutenant voit avec calme et sang froid la situation. Il nous fait mettre baïonnette au canon puis aux cris puissants de « En avant » nous arrivons au camp ennemi. C’est un camp d’artillerie. Les allemands quittent leurs tranchées et nous, avec un sang froid remarquable, nous tirons sur les fuyards et les chevaux qui sont attachés à l’extrémité d’un chemin. Le lieutenant Mérine, un fusil à la main, tire lui-même. Il est admirable. Si nous étions le double, nous pourrions nous emparer des pièces, mais ce n’est pas là notre but. Nous cherchons la délivrance, nous cherchons la France. Et à toutes jambes, nous traversons un coin de forêt, puis nous voilà dans la plaine, au milieu des champs. Nous grimpons sur un mamelon et de là, un camarade qui vient de derrière, nous accueille avec perte et fracas. Ceux qui entourent le lieutenant sautent comme des mouches, moi qui suis resté en arrière, j’entends siffler les projectiles qui éclatent à mes côtés. Les pans de ma capote sont déchirés, mon pantalon est traversé au genou gauche et je ne suis pas touché. Une étoile me préserve. Pas longtemps, hélas. Je me lève pour faire un bond en avant. Je me couche et je reçois sans souffrance une balle de fusil dans le haut de la cuisse gauche. Elle entre près de la fesse et ressort près de l’aine. Ma poche est pleine de sang mais l’os n’est pas atteint et je reprends ma fuite au milieu des projectiles. Par un heureux hasard, je ne reçois plus rien et j’arrive dans un village où flotte la Croix-Rouge, c’est Robelmont au nord de Virton. Je me crois sauvé, hélas je tombe dans une ambulance allemande. Je tombe exténué, je suis blessé. Je suis prisonnier. Le moment est terrible. Pansé par un brave du pays, j’apprends que nous avons 7 tués dont le lieutenant Mérine qui reçoit un éclat d’obus en pleine figure. C’est triste, 19 blessés et le reste une quarantaine de prisonniers avec le lieutenant Périque sont emmenés vers je ne sais quelle destination. Quoique blessé, j’ai pu entendre les Allemands mettre en miettes nos armes, fusils et baïonnettes, Dieu, quelle souffrance de voir un pareil spectacle.

 

J’ai pensé à toi, mon cher Grand-père et, en voyant le village de Robelmont et son curé, je voyais aussi les villages de Cussey et Thuz. J’ai la seule joie d’être très peu blessé et de me voir valide d’ici peu. Le lendemain matin, nous sommes transportés en voiture à Virton. Quelle horreur, nous traversons un champ de bataille, Dieu quelle vue et quelle odeur. Vous m’épargnerez la peine de décrire ce spectacle.

 

Nous sommes soignés au gymnasium de Virton, par des médecins belges et des demoiselles de la Croix-Rouge. Ils sont tous d’une gentillesse remarquable et méritent, je vous assure, de multiples éloges. Je citerai entre autres les noms suivants : Docteur Fostie, Docteur Gratia, Mademoiselle Alice, Mademoiselle Fostie enfin Mademoiselle Lucie Cussac, une jeune fille de Virton qui fut charmante à tous les points de vue. Aujourd’hui samedi 29 août, j’apprends que je pars probablement pour l’Allemagne comme prisonnier. C’est un bien triste sort et j’en suis humilié, mais j’espère avoir la joie de vous revoir un jour quand la paix sera signée. Si par hasard, j’étais porté comme disparu, considérez-moi comme prisonnier de guerre et comptez me revoir un jour plus ou moins lointain. JE VAIS REMETTRE CETTE LETTRE A UN HABITANT DE VIRTON. IL LA METTRA A LA POSTE DES QUE CE SERVICE MARCHERA. JE CHARGERAI PROBABLEMENT MADEMOISELLE LUCIE DE CETTE CORVEE.

 

Prévenir les parents du caporal Thibault qui est dans mon cas quoiqu’il est blessé peu grièvement à la main. Ses parents habitent Alençon 8, route de Paris. Nous partageons les mêmes douleurs.

 

Si je n’avais pas la chance de revenir parmi vous, je lègue tout ce que j’ai à mes sœurs que j’aime tant, mais je tiens que Touchard ait un souvenir de moi et que Marie Bachelot reçoive une large récompense pour toutes les bontés qu’elle a eues pour moi. Hélas ! j’espère faire cela moi-même.

 

Cette lettre, je l’adresse à ma maman car je l’aime comme on aime celle qui vous donné le jour, mais elle concerne toute la famille, celle de Paris, celle d’Alençon oh ! oui mon cher grand-père, celle d’Epernay, celle de Beauvais, celle de Vogney, mon oncle Henri et tous les amis que je pense oublier. Je vous écris sur mon lit d’hôpital au milieu de blessés dont certains souffrent terriblement.

 

Au revoir, chère famille. C’est dans une étreinte des plus fortes que je vous embrasse tous comme je vous aime.

 

Votre grand gars dévoué et énergique.

 

 

JULIEN GOUTIER

 

 

Je suis absolument sans nouvelle des opérations militaires depuis la malheureuse boucherie éprouvée par le 4ème Corps Les Allemands sont-ils attirés dans un piège vers Verdun et Sedan ou vont-ils encore une fois se montrer plus forts tactitiens que nous. Je souhaite que la guerre cesse le plus tôt possible car la guerre moderne est devenue un massacre terrible.

 


 

Le lieutenant Mérine

La tombe du lieutenant Mérine tombé aux côtés de Julien lors de l'attaque de la batterie allemande. ( erreur de transcription sur la croix)

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